Un certain nombre de conclusions peuvent être tirées de cette approche statistique.
1. Hormis l’anecdotique Gymnadenia odoratissima parfois signalé dans la Vienne, il existe à côté de Gymnadenia conopsea une forme parfaitement définie d’un Gymnadenia à éperon court, effilé et pointu de longueur sensiblement égale à celle de l’ovaire.
Seules les stations de Savaillé et de la Toucherie
possèdent une population à éperon court suffisamment étoffée pour avoir une valeur statistique.
Il est remarquable que dans ces deux stations pourtant très éloignées le mode correspondant aux populations à éperon court se positionne dans la même tranche de valeurs du rapport R. ( R :1.10 à 1.23)
Le calcul de la moyenne arithmétique du rapport R dans ces deux stations donne pour la forme à éperon court les valeurs respectives de 1.17 à Savaillé et de 1.16 à la Toucherie, soit une égalité à 1/100ème
près !
Cette égalité de rapport malgré les effets stationnels montre que nous sommes en présence d’une forme (je n’ose pas prononcer le terme d’espèce) à éperon court sensiblement égal à la longueur de l’ovaire et parfaitement stable. La confirmation sur d’autres stations est évidemment souhaitable.
Cette absence d’effet stationnel sur le rapport R devrait à fortiori s’observer sur les populations de Gymnadenia conopsea reconnue comme espèce à part entière. De fait l’étude sur les quatre stations le prouve entièrement puisque :
pour Savaillé R moyen = 2.03
pour la Toucherie R moyen = 2.00
pour la Langue
de Chat R moyen = 2.10
pour le Naumont R moyen = 2.06
soit un éperon sensiblement deux fois plus long que l’ovaire, quelle que soit la station.
2. Des populations intermédiaires entre Gymnadenia conopsea
et la forme à éperon court sont systématiquement mélangées aux populations « parentales »
Cette population intermédiaire est présente en proportions significatives même lorsque l’une des populations parentales n’est que faiblement représentée, comme le montre l’étude sur la Langue
de Chat et le Naumont où la forme à éperon court a peut être échappé à mon investigation pourtant tatillonne ou tout simplement disparu.
Une autre station à Gymnadenia conopsea serait donc à rechercher, beaucoup plus isolée et plus éloignée des stations à Gymnadenie à éperon court, pour attester de la non présence d’une population intermédiaire et servir de témoin valable.
3. Les populations intermédiaires entre Gymnadenia conopsea
et la Gymnadénie
à éperon court sont de nature hybridogène, sans caractéristiques stables, et fluctuent au gré des populations « parentales » en présence.
A la grande stabilité du rapport R dans les populations parentales, s’oppose l’absence de stabilité du rapport R (i) dans les populations intermédiaires.
Pour s’en convaincre, il suffit de comparer les valeurs autour desquelles gravite le rapport R(i) dans les populations intermédiaires des quatre stations.
- A la Toucherie
où la forme à éperon court est majoritaire R(i) moyen = 1.33
- Dans les stations où Gymnadenia conopsea est majoritaire :
R(i) moyen = 1.73 à Savaillé
R(i) moyen = 1.74 à la Langue de Chat
R(i) moyen = 1.76 au Naumont
C’est-à-dire que le rapport R(i), instable, tend toujours vers le rapport R de la population majoritaire et d’ autant plus fortement que la disparité numérique entre les deux populations parentales est grande.
On peut donc penser que la population intermédiaire n’est pas faite que d’hybrides de première génération mais constitue une population hybridogène dans laquelle au gré des croisements aléatoires (sans pression sélective par les insectes qui pourraient être attirés préférentiellement par une certaine longueur d’éperon ou un autre caractère associé) la population intermédiaire subit une dérive qui l’amène à évoluer vers la population parentale majoritaire, pour finir comme au Naumont, pratiquement par s’y fondre.
On voit ainsi tout l’intérêt d’une telle étude statistique et la vanité des discussions interminables et généralement stériles devant un pied pris individuellement. D’où le flou entretenu autour de ces populations de Gymnadenia auxquelles on n’a jamais su attribuer un véritable statut taxonomique.
4. Des caractères « spécifiques » à la Gymnadénie
à éperon court peuvent être dégagés de cette étude et des observations que j’ai pu faire à cette occasion.
Sans parler d’espèce on peut néanmoins attribuer à la Gymnadénie
à éperon court un certain nombre de caractéristiques qui lui sont propres.
En tout premier lieu la valeur du rapport R de la longueur de l’éperon sur celle de l’ovaire et la constance de ce rapport.
Le fait que la longueur de l’éperon soit sensiblement égale à celle de l’ovaire écarte toute confusion possible avec le type Gymnadenia conopsea dont la longueur de l’éperon avoisine toujours le double de la taille de l’ovaire.
Dans les stations où la Gymnadénie à éperon court prédomine il est évidemment impossible de faire la distinction entre la forme pure et les formes hybrides du fait de la dérive du rapport R (i) des hybrides vers celui de la Gymnadénie
à éperon court.
Comme autre caractère constant, la forme spécifique de l’éperon.
Cet éperon est toujours faiblement arqué, à peine incurvé, parfois même presque droit.
Sa section va progressivement en rétrécissant et son extrémité finit en pointe à peine émoussée, jamais vraiment arrondie comme chez le type Gymnadenia odoratissima.
La couleur des inflorescences assez caractéristique ne constitue néanmoins pas un caractère fiable.
La couleur des fleurs est toujours d’un rose pâle voire très pâle à presque blanc sur les fleurs bien épanouies.
Mais nos populations de Gymnadenia conopsea pour la plupart installées sur des substrats marneux à marno-calcaires présentent des caractéristiques souvent similaires, ce qui fait qu’à distance, on ne peut pas affirmer que tel pied appartient à l’une ou l’autre forme.
Il en va de même de la taille et de la vigueur des pieds.
Statistiquement la Gymnadénie
à éperon court est une plante de plus petite taille, plus gracile, à épi généralement plus grêle et plus resserré autour de l’axe floral.
Mais là aussi les conditions stationnelles sur nos substrats marneux font que nombre de pieds de la forme conopsea présentent des caractères convergents.
La forme du labelle très proche de celle de Gymnadenia odoratissima et quasi similaire, fait peser le soupçon d’une introgression des populations de Gymnadenia conopsea par Gymnadenia odoratissima
Cette dernière tout en restant rare dans notre région n’en est pas moins présente et peut être, par introgression et après stabilisation, à l’origine de notre Gymnadénie à éperon court.
C’est maintenant aux généticiens et aux biochimistes de trancher.
Conclusion.
Cette étude réalisée sur un nombre très limité de stations, ne prenant en compte qu’un nombre restreint de caractères ne peut pas prétendre résoudre le problème de l’hétérogénéité des populations de Gymnadenia dans la Région
Centre-Ouest
de la France
et plus particulièrement dans la Vienne, encore moins leur conférer un statut taxonomique.
Elle est une parmi d’autres contributions pouvant être prises en compte, et pouvant servir de base de discussion. Elle a néanmoins l’avantage de ne pas s’intéresser à l’individu dont l’étude statistique a montré que dans un grand nombre de cas il n’avait pas d’existence taxonomique définie, mais à des populations dont l’identité est indéniable.
Cette fameuse Gymnadénie à éperon court pourra-t-elle prétendre au statut d’espèce à part entière, ou ne s’agit- il que de la forme adaptée à nos plaines de la reconnue Gymnadenia pyrenaica ? A moins qu’il ne s’agisse d’une forme d’introgression de Gymnadenia conopsea par Gymnadenia odoratissima.
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